
L’empereur :
Tu m’appelles ?
Et me voilà de nouveau.
Tu m’appelles, et pourtant tu me chasses encore.Me voilà, rongé par un feu qui ne jamais s’éteint. Cette colère violente me retrouve amère. La chaleur d’été dévore mon ventre.
Mon âme réveille les cendres de notre amour d’hier.
Tu m’appelles et je suis de nouveau semblable à une feuille avec quoi jouent les vents.
Je suis le fou comparé au fleuve qui coule et dans ma course folle jamais je ne change de route.
Tel un navire sans matelot, un vaisseau fantôme, les chaines ne peuvent me retenir. Je suis un cerf volant et je rejoins les autres. Les gens comme moi.
Les tortus.
Ceux qui ont le cœur trop lourd.
Les danseurs reviennent de nouveau s’exprimant par leur côté sombre. Le jongleur et l’acrobate entament des figures audacieuses.
L’empereur
Pour moi, plaisanter avec eux est plus doux qu’un gâteau de miel. Ils connaissent les laideurs de mon âme et nous formons immédiatement une magnifique cohorte car leur âme est aussi détestable que la mienne.
Quoique Vénus ordonne, la tâche est toujours douce, elle n’abandonne jamais les cœurs non vertueux.
Je me plie avec eux, à tous les vices.
Je suis avide de plaisirs plus que pour mon salut mort dans son âme.
Je ne porte plus soin qu’à la chair.
J’habitais jadis sur un lac et ma beauté était semblable à un cygne.
O malheureux comme je suis noir maintenant, noir et brulé fortement.
Et c’est toi Fortuna qui tourne la roue.
Je roule empalé au milieu du brasier et ma chair exhale des parfums de vieux cuir et de sauce ruisselante. Le cuistot tourne son méchoui.
Bientôt vous me dévorerez.
Ah, le supplice !
Mon sang goute avec la sauce.
Je me vois déjà sur le plateau d’argent avec vos yeux avides. Ma tête sera encore accrochée à mon coup et vous me dévorerez.
Je ne pourrais plus voler, mes ailes seront entre vos dents. Je me verrais oui et vous me dévorerez.
Allez, arrachez moi le ventre !
Je suis l’abbé de Cocagne et mon assemblée est une secte d’ivrogne qui me trouve encore à la taverne au matin.
Après les vêpres je sors dénudé de mes fripes et je crie : Holà ! Holà ! Qu’as tu fait infâme de la joie de la vie ?
Et c’est bien moi que j’invective encore.
Moi, oui, nu comme un ver.
Que m’importe de n’être que poussière.
Nous nous hâtons, maintenant.
Pour tous les jeux qui nous mettent en sueur.
Personne ici ne craint la mort.
Tous les affranchis boivent et remettent leur tournée :
Une pour les prisonniers, une autre pour les vivants, la troisième pour les chrétiens, la quatrième pour les défunts, la cinquième pour les sœurs légères, la sixième pour les frères pervertis et les autres pour les pénitents, les plaideurs, tous ceux qui naviguent.
Et notre Pape aussi et une pour moi, votre empereur, qui boit encore et toujours et à jamais dorénavant.
La patronne boit, le soldat boit, le prêtre boit, l’esclave boit, le blanc, le noir, boit, le fou boit, le sage et l’évêque boivent, la sœur, le frère, le père, la mère, tous boivent sans fin, toutes les races offrent leur gorge au vin qui débordent.
Ceux qui me critiquent iront au diable et les justes ne seront pas comptés.