
L’empereur
Pourquoi dis-tu que tu m’attends puisque tu ne viens jamais me voir !
Ma vieillesse est trop lourde à porter. Je meurs de tous ces amours nouveaux. Toi tu te défleuris mais moi ma peau s’ocelle de taches brunes.
Pourquoi me tourmenter Fortuna, puisque je meurs ?
Ce nouvel amour est bien ma mort et cet été et cet automne où Mandaliet verra arrondir son ventre sera mon crépuscule infini.
C’est d’eux que je meurs.
Le comprends tu ?
Ils m’enlèvent mes dents. Ils cassent mes os. Ils me rendent acariâtre, nuisible, méchant. Pourquoi ne peux-tu pas revenir ?
Puisque tu m’appelles ?
Puisque toi aussi tu es incomplète ?
Es-tu sourde ?
Es-tu aveugle ?
Pourquoi ne réponds-tu pas !!!
Alors viens toi, viens ma mort, puisque je brûle encore.
Je vais saluer une dernière fois ce joyau. Saluer la gloire de la vierge. Saluer la gloire du monde. Saluer la rose.
Je vais saluer oui, puisque je ne puis faire que cela : saluer !
Rose ? Blanche fleur ? Hélène ?
Toutes tes parures, Fortuna !
Ton vieux Paris renfile son manteau d’hiver ?
Mais dis toi bien que même vieux, je t’aime ! Je t’aime oui, comme l’écorché aime le bourreau qui le pèle et même le fardeau que tu rajoutes chaque jour un peu plus cruel.
O Fortuna, je sens le vent entrer dans mon église et je sais que c’est encore ton souffle qui me poursuit.
Allez, pince les cordes de ta harpe et envoie ta sordide mélodie !
Viens me chanter aux oreilles comme la Pythie de Delphes.
Viens le grand air de notre désamour.
Puisque tu ne peux vivre sans moi ni moi avec toi.
Puisqu’il te faut mes os, ma chair, mon foie.
Allez, dévore moi !
Oui, je suis Prométhée et c’est de ma douleur que meurt le monde mais si c’est d’elle aussi qu’il renait toujours.
Jusqu’au jour où Fortuna !...
Car il viendra bien, ce jour, Fortuna, ce jour ou tu me reverras !
Ce jour, cette nuit.
Où je te fermerai les yeux Fortuna et où tu fermeras les miens. Où main dans la main, dans le linceul de toutes les étoiles qui s’éteindront une à une sur notre passage, nous reviendrons à l’infini !